- Mit freundlicher Genehmigung von: artfresnes94

Was: Ausstellung

Wann: 13.01.2024 - 02.03.2024

Cette nouvelle exposition à l’Espace d’art Chaillioux de Fresnes doit beaucoup aux réflexions de Walter Benjamin développées dans son célèbre essai, initialement écrit en 1935, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée.

Une des questions posées dans cet ouvrage est celle du statut d’une œuvre pouvant être multipliée – imprimée – potentiellement à l’infini, du…

Cette nouvelle exposition à l’Espace d’art Chaillioux de Fresnes doit beaucoup aux réflexions de Walter Benjamin développées dans son célèbre essai, initialement écrit en 1935, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée.

Une des questions posées dans cet ouvrage est celle du statut d’une œuvre pouvant être multipliée – imprimée – potentiellement à l’infini, du multiple… La photographie est, certes, au centre des préoccupations de son auteur mais son analyse englobe aussi la lithographie, technique relativement récente, inventée en 1796 par Aloys Senefelder, et les pratiques historiquement plus anciennes de la gravure, sur bois ou sur métal. Sans ajouter à la riche glose construite autour de ce texte séminal, retenons la principale conclusion de Benjamin selon laquelle le multiple perdrait l’aura associée à une œuvre unique.

Nous avons choisi, pour apporter une forme de contradiction au philosophe allemand et pour illustrer la vitalité des pratiques contemporaines du multiple, trois graveuses et trois photographes. Parmi les premières, deux, Anaïs Charras et Cléa Darnaud, se cantonnent dans une stricte opposition de noirs et blancs, tandis qu’Atsuko Ishii nous enchante par le large spectre coloré de ses compositions. Chez les seconds, Frédérique Callu s’en tient au noir et blanc, alors que Pierrejean Canac et Jacques Ibert déploient, non sans une dose de délectation goulue, un éventail de couleurs chaudes, acidulées ou expressives.* * *

En pleine ère de la photographie numérique, Frédérique Callu s’attache aux techniques traditionnelles des clichés argentiques : prise de vue, travail en laboratoire, retouches… Pour autant, ses productions n’ont rien de passéiste ni de nostalgique. Elles se présentent avec la lucide acuité de constats d’enquêteurs policiers, de planches extraites d’un improbable roman-photo, d’arrêts sur image, de procès-verbaux de faits qui, pris isolément, n’ont rien de spectaculaire. Et pourtant, l’atmosphère générale qui en émane est lourde de sens, sans que le spectateur puisse en identifier les raisons ni les enjeux. L’univers de Frédérique Callu évoque l’inquiétante étrangeté, l’Unheimichkeit, freudienne ou, peut-être plus encore, une inquiétante familiarité, car aucun des éléments constitutifs de ses images ne paraît anormal. C’est leur combinaison dans un seul point de vue qui leur confère leur caractère singulier. Le regardeur est alors entraîné dans une troisième dimension, plus psychique que réelle, plus imaginaire que rationnelle…

La série de photographies TRAVELLLINGS de Pierrejean Canac, ne résulte d’aucune opération de post-production, d’aucun bidouillage avec Photoshop ni avec d’autres outils numériques de ce type. Les clichés ont été capturés au moyen d’un iPhone 6S, en mode panoramique, avec des temps de pose allant de quelques secondes à plusieurs minutes, plus d’une heure pour certains. Dans certaines prises de vue, le sujet se déplace devant l’objectif, dans d’autres, c’est l’appareil de prise de vue qui tourne autour du sujet. Dans un cas comme dans l’autre, au-delà de la pure prouesse technique, le résultat est déroutant. De sa série PAAAS, 2018-2023, Pierrejean Canac écrit : « Je marche. Mon attention se pose sur mes pieds et les quelques mètres à venir, sur la terre, le sable, les pavés, les marches… Chaque pas s’inscrit dans l’image, s’y fixe. Serai-je un peu obsédé par l’envie de laisser quelques traces de mon passage sur terre ?… L’idée me fait sourire mais, dans le fond, révèle surtout un désir poétique : reproduire sur une image quelques secondes de quelques pas, quelque part. L’analogie entre traces archéologiques et traces photographiques m’est apparue évidente. » À sa façon, le photographe nous dote d’un œil augmenté, ce dernier mot ayant le sens qu’il a dans l’expression réalité augmentée. Les titres des œuvres, avec des voyelles ou consonnes répétées, tel le L ou le A dans les titres des séries, apportent une touche d’humour inspirée du surréalisme ou de l’OuLiPo.

La disparition, la mutation et la mémoire sont les thèmes de prédilection qui jalonnent les créations d’Anaïs Charras, graveuse. De son évolution récente, elle écrit : « Travaillant jusqu’alors presque exclusivement à la pointe sèche sur cuivre, j’ai, il y a peu, rencontré le burin. La recherche de l’effet spontané du trait à l’aide d’un outil dont le maniement appelle la lenteur représente pour moi le franchissement d’une étape importante dans l’exercice de ma pratique. Le rythme du sillon patiemment creusé impose un travail préparatoire exigeant dans lequel je m’épanouis pleinement. Je mélange à présent les deux techniques afin d’imprimer à mes personnages d’autant plus de vie et de profondeur. Au moment des derniers états, la pointe sèche vient parfois doucement bousculer la logique géométrique du burin et apporter un léger déséquilibre aux personnages, une lumière inattendue en arrière-plan, un accident sur un visage… » Chacune de ses planches nous fait découvrir un univers improbable, où rêve, réalité et réminiscence d’œuvres du passé – de Jérôme Bosch et Albrecht Dürer à Max Ernst et Roland Topor – s’entrecroisent pour faire surgir des images qui frappent l’imagination, surprennent, poussent à la rêverie ou à la méditation. Le tout sans la moindre violence mais avec une évidente empathie pour ses personnages, mutants, étonnés d’exister, perdus dans un monde – le nôtre – qu’ils semblent découvrir avec amusement, hébétude ou stupeur.

Cléa Darnaud est graveuse. Elle privilégie l’eau-forte et l’aquatinte, travaillant à l’aiguille, dans des compositions dont la minutie est stupéfiante. Et pourtant, tout semble modeste, dans son œuvre, loin de toute tentation d’en mettre plein la vue, comme s’il y avait un secret à préserver. Plus le spectateur essaie de le pénétrer, plus il est dérouté et forcé d’imaginer une nouvelle histoire, puis une autre, pour tenter d’éluder un mystère qui lui échappe au moment même où il pense l’avoir appréhendé. De sa démarche, Cléa Darnaud écrit : « À la recherche de bribes et de détails je cherche à infiltrer le réel pour en saisir des fragments et les recomposer dans mon univers graphique. Loin de la représentation, je tente plutôt de parcourir les vestiges d’un regard afin de reconstruire à travers le dessin de nouveaux espaces narratifs, composés de fragments de souvenirs. Ma pratique fait appel aux pensées intrusives, aux réflexions de l’instant. Je tente de me saisir de ces bribes, transformées et interprétées pour les réinvestir sous une forme graphique singulière au service de l’imaginaire. »

Jacques Ibert, photographe, construit ses ima¬ges comme un romancier compose son ouvrage. Ses mots sont des images qu’il juxtapose et colle pour constituer un récit, plus rhizomique que linéaire. Elles plantent le décor mais incarnent aussi des personnages. Il décrit sa démarche en ces termes : « Comme un écrivain qui rédige son roman un mot après l’autre, je crée mon œuvre en collant des images. Les unes sur les autres ou à côté des autres. Sans visibilité ni filet. Parfois, elles se répondent. Souvent, elles s’installent comme partie du décor. Aujourd’hui rares et précieuses pour demain terminer anonymes et banales. Intégrées dans des tableaux, dans des paysages ou faisant partie d’une matrice, elles s’accumulent pour composer un récit-collage. Une couverture brodée aux pixels. Une peau d’images comme cuirasse. » Jacques Ibert affectionne les compositions en plusieurs volets, qui rappellent la structure des retables de la Renaissance, plus particulièrement ceux de la tradition flamande, même lorsqu’il aborde des sujets très contemporains. Ses mises en scène grouillent de personnages, à la manière de certaines peintures de Bruegel, mais peuvent aussi jouer sur des superpositions ou emprunter au monde du spectacle ou de la mode. Dans tous les cas, ses œuvres se lisent et s’apprécient comme de modernes icônes, vouées à la célébration d’un culte mémoriel plus profane que religieux.

Atsuko Ishii, artiste japonaise installée en France depuis 1995, se consacre à la gravure à l’eau-forte imprimée en couleur. Elle considère la plaque de cuivre comme une feuille de papier sur laquelle elle s’exprime librement dans un style d’une grande précision. Elle complète la technique de l’eau-forte par des encollages de papier japonais, des pochoirs appliqués sur la plaque pour les aplats colorés ou des gaufrages. L’impression est toujours en série limitée et aucune intervention de l’artiste ne se fait directement à la main sur le papier. La précision de son trait sur la plaque de cuivre, ses découpes fines qui lui servent de pochoir dénotent la maîtrise d’une technique ancienne complexe. Son expression reste cependant résolument moderne, faisant sortir la gravure de son cadre traditionnel. Elle aborde ses compositions d’une manière très fluide, dans une ligne claire. Au fil des ans, elle s’est construit un vocabulaire très personnel, certains motifs se retrouvant d’une gravure à l’autre dans des configurations différentes. On y retrouve fréquemment des personnages, des fruits, des éléments d’architecture, des fragments de paysages, des éléments de signalisation… En première lecture ses gravures semblent tout empreintes de naïveté, mais celle-ci est fausse car ses compositions se montrent souvent porteuses de propos facétieux ou incongrus. Au fil des années, le dessin d’Atsuko Ishii se fait plus ample, le vocabulaire s’enrichit, la couleur se diversifie et s’autonomise… Certaines compositions font penser à des all-over où les personnages et les animaux semblent émerger d’un tapis de fleurs multicolores.

Tags: Anaïs Charras, Atsuko Ishii, Cléa Darnaud, Frédérique Callu, Jacques Ibert, Malerei, Pierrejean Canac, Skulpturen

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