Ici, les œuvres de sept artistes (Samuel Aligand, Pierre Corthay, Olivier Filippi, Guillaume Guintrand, Sylvie Ruaulx, Olivier Soulerin et Jean-Marc Thommen) sortent de leurs réserves. Dessins, peintures, sculptures et matériaux réunis s’…
Ici, les œuvres de sept artistes (Samuel Aligand, Pierre Corthay, Olivier Filippi, Guillaume Guintrand, Sylvie Ruaulx, Olivier Soulerin et Jean-Marc Thommen) sortent de leurs réserves. Dessins, peintures, sculptures et matériaux réunis s’…
Ici, les œuvres de sept artistes (Samuel Aligand, Pierre Corthay, Olivier Filippi, Guillaume Guintrand, Sylvie Ruaulx, Olivier Soulerin et Jean-Marc Thommen) sortent de leurs réserves. Dessins, peintures, sculptures et matériaux réunis s’absentent de leurs ateliers jusqu’aux salles de l’Espace d’art Chaillioux et cohabitent le temps d’une exposition collective pensée comme une transition, un lieu intermédiaire provisoirement traversé d’objets « recouverts de couleurs en un certain ordre assemblées. » Posés, déposés çà et là aux murs et au sol des deux niveaux du Centre d’art et de ses 350 m2 de surfaces dédiées, les œuvres exposées montrent leurs volumes, leurs formes et leurs matérialités, les écarts qui les séparent et ceux qui les rapprochent. Sur la durée, les réserves des artistes s’accommodent de ces rencontres selon le soin et l’ordre que chacun y attache et l’espace qui y autorise : une histoire personnelle s’y murmure parfois comme celles des sept artistes qui dévoilent ici une part de leurs stockages.J.-M. T.
Pour cette vingt-septième exposition, nous avons demandé à un collectif d’artistes de nous proposer des œuvres d’une grande diversité mais qui partagent, cependant, une évidente délectation gourmande pour la couleur, qu’elle soit appliquée sur des surfaces ou sur des volumes, sur des supports riches ou pauvres, originaux ou détournés.… Notons, il est important de le souligner, que la plupart des artistes présenté(e)s dans cette exposition sont ou ont été engagé(e)s dans la promotion de la création contemporaine, au service de leurs collègues plasticien(ne)s.* * *
Les matériaux de prédilection de Samuel Aligand sont des matières plastiques colorées auxquelles il applique des traitements variés. Il les forme ou les déforme à chaud ou à froid, les pétrit, les souffle, les façonne, les extrude, les découpe, les malaxe… Ses productions sont à l’échelle du geste qui les a créées : de la main aux dimensions du corps. Le hasard et la perte de contrôle – très temporaire – du processus de leur émergence, jouent aussi un rôle important dans la genèse de ses œuvres. Vitesse dans l’exécution, spontanéité et travail en aveugle sont aussi convoqués. L’artiste les revendique quand il déclare : « C’est une manière de faire place au surgissement de l’imprévu en se rapprochant de la vélocité et des aléas de la pensée dans des gestes qui amènent les matériaux à des états limites. » Les œuvres de Samuel Aligand ont un aspect organique, comme s’il s’agissait de mues ou d’étapes dans la métamorphose d’animaux improbables. Le spectateur est confronté à des formes naturelles qui auraient subi d’irréversibles transformations. Il est témoin d’une véritable inversion des rôles, de perméabilité entre les mondes vivants et matériels, de retour à un état primordial qui évoque le cycle irréversible de la naissance, de la vie, de la mort et de la régénération… Fantastiques, merveilleuses, sans nul doute, ses pièces, grandes ou petites, en deux ou en trois dimensions, présentent la double caractéristique de conserver des traces de leur fabrication et de révéler l’intériorité de l’artiste. C’est ce qui a amené un des commentateurs de ses œuvres à poser la question : l’aventure intérieure est-elle soluble dans la peinture ?
Pierre Corthay, bottier de formation et de métier, utilise les emballages les plus divers comme matière première pour ses travaux : cartons, coques thermoformées, matières plastiques, cales… Il les découpe, les assemble, les colle et les peint pour réaliser des volumes, de dimensions modestes, dont l’aspect évoque des matériaux plus nobles : bois, métal, porcelaine, céramique, terre cuite… Il les présente sur des étagères, comme les trophées d’un improbable cabinet de curiosités, ou accrochés au mur. Il serait tentant d’établir un rapprochement entre la pratique professionnelle de cet artisan formé chez les Compagnons du Devoir et sa démarche de plasticien. La chaussure n’est-elle pas, après tout, un emballage du pied ? Tout comme une paire de souliers, un empaquetage ne permet-il pas à un objet de se déplacer sans dommage ? Deux formes de mobilités au quotidien ? Certes les processus, s’appuyant sur la transposition en dessin d’une idée précédant la mise en volume du matériau brut, peuvent être similaires… Mais le parallèle s’arrête ici. Quand la chaussure convoque une matière première noble, vivante et durable – le cuir –, les sculptures de Pierre Corthay recourent à des matériaux de récupération, pauvres, rarement organiques, normalement voués à une destruction rapide, à la désuétude. Là où les souliers sont conçus pour être vus de l’extérieur, les volumes de Pierre Corthay se complaisent souvent à révéler leur intérieur, leurs tripes… Plus qu’une similarité entre ses activités artisanales et plastiques, il s’agirait d’une forme de complémentarité, de reflet en miroir de procédés et de démarches éprouvés depuis des décennies… Nous sommes, chez Pierre Corthay, face à un double processus : recyclage et détournement, avec pour résultat la promotion de l’insignifiant au statut de production artistique. On pourrait parler d’upcycling, néologisme qui porte en lui la notion de progression dans une hiérarchie des valeurs.
Olivier Filippi peint, dans des couleurs vives et saturées, sur toile, sur papier ou sur des murs. Sa pratique, obsessivement sérielle, relève du all-over en ce qu’elle vise à abstraire ses productions des limites étroites de leurs subjectiles, à rayonner pour prendre possession de l’ensemble de leur espace environnant… Regardeur compris… Ne déclare-t-il pas : « J’ai toujours produit des séries ou des ensembles. À travers celles-ci, je cherche probablement à produire une couleur qui aurait une durée, qui se déploierait au-delà de l’espace restreint du tableau. Il me faut un point de départ, une structure aussi légère que possible pour produire une situation qui favorise une suite. Il s’agit de favoriser une concentration suffisante du regard, de l’attention, sur une chose (un tableau) tout en rendant possible ce qui précède et/ou ce qui suit. Cela prolonge l’expérience, en la faisant apparaître sous divers éclairages, jusqu’à, possiblement, la rendre méconnaissable, ou en tous cas éloignée du point de départ. » Dans les peintures d’Olivier Filippi, l’essentiel se joue sur le fond de l’œuvre. Les motifs légers, sinueux, précis mais insaisissables qui se développent sur le devant mettent en valeur ces surfaces sensuellement colorées. Ils soulignent, selon les circonstances, l’homogénéité de la couleur ou sa progressive altération, irisation ou dégradation quand elle s’approche des limites du support.
Guillaume Guintrand a longtemps hésité entre une pratique figurative et ce qu’on a l’habitude de désigner sous le nom d’abstraction. Ses hésitations se sont notamment traduites dans des diptyques juxtaposant un élément végétal et une plage de couleur agrémentée de structures géométrique. Dans ses peintures les plus récentes, ce Provençal devenu Breton d’adoption s’affranchit de la figuration directe d’éléments végétaux ou minéraux mais n’en reste pas moins ancré dans une forme de paysagisme abstrait, aux antipodes, cependant, de la gestualité quasiment éjaculatoire généralement associée à ce mouvement pictural. Guillaume Guintrand se comporte en cartographe réfléchi, méthodique, raisonné et raisonnable d’une nature revisitée. Lentement et méticuleusement, il s’attelle à assembler des modules, fragments de paysages choisis, collectés et réinventés, exerçant une forme de défrichage-déchiffrage de territoires connus, reconnaissables pour qui veut bien en faire l’effort, mais radicalement transfigurés. La partie supérieure, souvent monochrome, occupe la plus grande partie de la surface du subjectile, évoquant un ciel chargé de lourds présages. Qu’importe qu’il soit rouge, orange ou d’un bleu improbable… Il pèse et écrase de sa présence le sujet relégué en bas du plan, réduit à des lignes de clivage, blanches sur fond noir, globalement horizontales, évoquant les vagues d’une mer sévère qui se confond avec un ciel dont la hauteur rend l’humain bien petit…
Sylvie Ruaulx a été formée à la peinture et à l’accessoirisme de plateau. Ses œuvres se sont toujours penchées sur la production industrielle et sur l’étrangeté des formes qu’elle génère ou qu’elle rejette. Sa prédilection la porte à utiliser des chutes, des rebuts de processus industriels. Elle les choisit puis les met en espace – on pourrait dire en scène – sans en altérer la forme ni la couleur. Elle emprunte, plus qu’elle s’approprie, ces choses qui seraient autrement vouées au recyclage ou à la destruction. Elle les assemble, sans recourir à des technologies complexes, et les organise en mettant en évidence leurs singularités accidentelles. En limitant au strict minimum ses interventions sur les objets collectés, elle veut attirer l’attention du spectateur sur leur valeur d’usage – ou plutôt de ré-usage – intrinsèque et susciter la surprise quant à la variété de formes générées par un processus productif dont ce n’est pas la finalité essentielle. Plus que son travail, c’est celui des autres – ceux qui ont créé le matériau initial et ceux qui l’ont usiné – que Sylvie Ruaulx met en avant, dans une démarche qui se situe entre économie et poétique, abordant les questions du recyclage, les esthétiques du travail, la valorisation des technologies et, enfin, l’éloge de la main anonyme – et de son outillage – qui a façonné des choses aussi étranges… De par sa formation initiale, l’artiste ne récuse pas la notion de décoratif et se fait volontiers scénographe, dès lors que ses œuvres peuvent ouvrir des portes sur le rêve, la méditation ou l’utopie…
Même si cela ne saute pas aux yeux a priori, Olivier Soulerin se revendique peintre, à l’instar d’autres artistes de la mouvance Ready-made color / La couleur importée qui se déclarent tels, même quand ils conçoivent des œuvres en trois dimensions et utilisent des matériaux déjà colorés plutôt que de la peinture en tubes. Certaines des productions d’Olivier Soulerin pourraient même évoquer des maquettes architecturales ou des modèles issus du design industriel. Elles en différent cependant fondamentalement en ce que la couleur y est première et le caractère fonctionnel complètement absent. Apparemment monochromes, vues de loin, ses compositions, quand on les observe de plus près, révèlent une richesse insoupçonnée résultant de l’imbrication d’un substrat banal – tissu éponge, torchon imprimé, cordage de raquette de tennis, résille, filet, paillasson, drisse ou cordages divers… – et d’actes de peinture plus conventionnels, au pinceau ou à la bombe aérosol. Souvent, plusieurs trames diagonales, légèrement décalées, sont superposées pour générer des interférences optiques qui suggèrent le mouvement, un miroitement ou une vibration. Il en résulte un fractionnement de l’espace pictural qui finit par s’imposer à son environnement, y compris dans le cas de réalisations de petites dimensions… Le tout non sans un humour pince-sans-rire dans la dénomination des œuvres ou dans leur seule présence physique…
Les peintures et les œuvres sur papier de Jean-Marc Thommen traitent de la tension et de la rupture, de l’accident fortuit, rythmé et expressif au point de le rendre indispensable, sinon prévisible. Les formes colorées semblent surgir d’une matière, à peine dégrossie par l’artiste. Elles s’imposent cependant avec une évidence qu’aucun geste additionnel ne saurait parfaire. Le regardeur est ainsi confronté à un processus de manifestation, d’épiphanie, dans la signification primitive de ce mot, suivie d’une révélation, d’une apocalypse, au sens premier de ce terme… Les plages monochromes, parfois raturées, maculées ou griffées par des signes nerveux, témoignant d’un geste rapide, rageur, peut-être, imposent leur présence sans pour autant être sujettes à la pesanteur. Elles flottent mais restent cependant solidement ancrées dans des compositions où, à l’analyse, on doit admettre que rien n’est laissé au hasard. D’une œuvre à l’autre, on voit se dégager une cohérence globale, une sorte de grammaire plastique sous-jacente qui innerve l’ensemble de l’œuvre et lui confère une indéniable consistance. Cette continuité formelle, l’artiste la souligne quand il déclare : « Ce qui peut stimuler mon geste, c’est le sentiment véritable que la surface contient toute sorte de précédents… » Une vision génésique de la création plastique…
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